Par l’éditeur
Après 25 ans d’engagement professionnel dans la coopération Nord-Sud pour un accès universel à une électricité durable, Gauthier Dupont nous propose son premier essai politique. Contrairement aux auteurs habituels de ce genre d’ouvrage, il ne vient ni du monde politique, ni de la recherche ou du journalisme, mais de l’action concrète en entreprises.
Autobiographie
« Né à Bruxelles, mort ailleurs », telle pourra être mon épitaphe. Radicalement belge, gaucher et francophone, j’ai pourtant parcouru le monde des humains, appris vaille que vaille sur le tard et sur le tas deux trois langues étrangères, profitant au passage de splendides et fascinants paysages. Mes diplômes de physiciens et de géophysiciens en poche, mon premier patron, un vrai bon patron comme on n’en fait plus, me droppa en Équateur, puis en Indonésie, au Maroc et ailleurs. Résolument engagé dans la coopération dans les pays en voie de développement, pauvre dans mon pays, mais riche aux yeux de mes hôtes, je contribuais à construire un monde meilleur. Expression éculée, mais vécue. Ingénieur en planification, je concevais et traçais des réseaux électriques en devenir qui permettraient à des centaines de milliers d’autres êtres humains de finalement bénéficier d’un service pour le moins nécessaire. Huit ans dans un petit cabinet de conseil d’une dizaine de personnes, une tentative repoussée de rentrer dans son actionnariat, une migration économique en Allemagne hasardeusement conçue avec un bébé de six mois mais globalement réussie. Huit ans de plus dans des cabinets plus grands mais encore à échelle humaine à parcourir essentiellement l’Afrique francophone. Déjà plus de quinze ans d’expérience professionnelle et pourtant toujours considéré comme un junior par une bande de boomers déterminés à ne pas donner leur chance aux générations suivantes. N’ayant plus grand-chose à apprendre d’eux et rien à en attendre, je me mis à mon compte. J’avais entretemps consacré mes temps libres à réussir avec brio un Executive Master en Management. J’en avais assez de me faire snober par des diplômés en marketing, ressources humaines, économie, finance ou management, devenus grâce à leur titre ronflant les supérieurs hiérarchiques d’ingénieurs bien plus utiles qu’eux à la société. Maintenant, je possède moi aussi le bout de papier qui dit que je suis dorénavant un des leurs.
Tout d’un coup, ce diplôme et l’aura de l’entrepreneur attira l’attention des fameux chasseurs de têtes qui se décidèrent enfin à apprécier la mienne. Je n’avais pas changé, mais le regard des autres bien. Pathétique, affligeant, mais réel. L’un d’eux me proposa d’entrer honorablement dans un des Big Four, ces redoutables cabinets d’audit financier et de conseil. Jamais je n’avais songé à un tel tournant professionnel, mais l’occasion donnée d’œuvrer avec le diable afin d’apprendre à le connaître motiva la décision de m’installer encore plus loin de mon petit pays absurde mais attachant. J’entraînai donc femme et deux enfants à Disneyworld dans le désert. Quatre ans de travail incessant sous l’agréable soleil d’Abu Dhabi à promouvoir la sustainability dans une région où la pollution par habitant est une des plus élevées au monde et à tenter de protéger mon équipe de jeunes anges extrêmement talentueux de cet environnement entrepreneurial hautement compétitif, dès lors forcément toxique. Le système ne s’est pas embarrassé de me dévoiler ses secrets, pensant que j’étais un des leurs. Fraîchement nommé Associate Partner, la démission fut onctueuse. Veni, vidi, vici, abii. Ayant quitté la consultance pour l’industrie, j’aide maintenant mes collègues japonais à développer une technologie unique de stockage de l’énergie bien nécessaire au déploiement des énergies renouvelables, essayant d’allier une mentalité de startup aux traditions plus que centenaires.
Une autre vie, académique celle-là, se profilait pourtant plus logiquement en continuation de mes diplômes décrochés avec grande distinction. Encouragé par la gent professorale, je soumis tout naturellement mon dossier de candidature au FNRS pour l’obtention d’une bourse de doctorat en météorologie. Sans ressources familiales et endetté malgré toutes ces années d’études à gâcher mes week-ends à retourner des hamburgers et à donner des cours particuliers à des étudiants poussés par des parents inquiets pour leur avenir, il me fallut boucher le trou de l’été à la nouvelle année. Émargeant alors au CPAS (aide sociale belge – J’y ai été contraint par le service social de l’université pour pouvoir bénéficier d’une bourse d’études) et ayant perdu le statut d’étudiant, m’inscrire à l’agence pour l’emploi était obligatoire pour conserver mes faibles droits. J’y découvris la gamme de formations et décidai prestement à tirer profit de ces quatre mois d’attente pour compléter mes compétences. Malheureusement trop diplômé pour que l’État accepte de me financer un permis poids lourd que j’aurais bien voulu obtenir, une formation d’analyste-programmeur s’imposa dans l’attente de ma bourse qui fera de moi un chercheur. Le plan d’austérité de 1996 du gouvernement belge savamment dosé afin de respecter les tout nouveaux critères de Maastricht de l’Union européenne en décida autrement (j’ai récemment découvert cette cause première en effectuant des recherches pour ce livre). En réduisant drastiquement le nombre de bourses disponibles en dernière minute à cause d’un budget raboté, le service public se priva cette année-là de quelques dizaines de cerveaux pourtant spécialement préparés pour la recherche scientifique, dont le mien. Ne voulant et ne pouvant attendre un an de plus, je rebondis grâce à la formation et plongeai dans l’aventure professionnelle.
Les circonstances dirigent parfois le destin, en tout cas le mien, ai-je cru pendant longtemps. Je n’avais jamais vraiment su ce que je voulais faire de ma vie. Enfant, je pus le temps d’un dessin m’imaginer garde-chasse. La proximité avec les animaux sans doute. Adolescent, pilote de ligne me paraissait une option séduisante. Étudiant, apprendre à comprendre l’univers me suffisait à remplir le mien intérieur dans un environnement à la fois studieux et festif. Jeune employé, je réalisais sans le savoir mon rêve, jusqu’à cette soirée avec un excellent ami qui me rappela à l’ordre : « Comment oses-tu prétendre que tu ne savais pas ce que tu voulais faire ? Tu as toujours voulu voyager ». Comme quoi, certains nous connaissent mieux que nous-mêmes. J’ai donc voyagé, principalement pour des raisons professionnelles, et surtout rencontré des gens, de tous pays, nations, cultures et idéologies. Cette confrontation à l’humanité réelle dans sa diversité et mon engouement pour la chose politique expliquent la genèse profonde de cet essai. Mon éducation dans un collège catholique, chouchouté par des professeurs par vocation, n’y est sans doute également pas étrangère. J’en ai trop vu pour croire, contrairement à la plupart des intellectuels de la vieille Europe, qu’il suffirait d’appliquer la bonne théorie socio-économique pour que la société aille mieux pour tous. Le monde des humains est le même partout, mais il est tout et son contraire. Rien de fatidique dans l’histoire qu’il reste à construire. Rien qu’une myriade perpétuellement changeante de décisions individuelles – rationnelles et irrationnelles, tout dépend du point de vue – se cristallisant parfois en des élans collectifs. Réfléchir et élaborer des théories aident à trancher, mais il ne subsiste que le choix lorsque l’on est confronté au réel. Et comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, choisir pour le groupe c’est faire de la politique. Mais pas n’importe comment. Sur des principes. Ceux de cet essai.